L'Echandole est un très joli théâtre dans la vieille ville d'Yverdon-les-Bains (en Suisse), en sous-sol, dans un grand et vieux caveau, voûtes, pierres apparentes. J'y suis en avance et ça se remplit gentiment, on commence à être coincé. Malin comme je suis j'ai trouvé une place à l'angle d'une voûte basse. Après quelques minutes, je réalise qu'un simple pas de côté me permet de relever la tête et de déployer au mieux ma silhouette longiligne. Je lorgne les spectateurs, cherche des statistiques. Premier constat: il y a surtout des filles; elles, et les garçons aussi, genre étudiants proprets. Dieu ce que les gens ont l'air jeune: dans un premier temps je me dis que je vais barber le forum avec mes aigreurs d'adolescent finissant, puis je réalise que vu que ces jeunes personnes ne me scrutent pas comme un vieux birbe, c'est que je suis jeune moi aussi! C'est une considération qui me chatouille le coeur et l'âme.
Bon, c'est pas tout ça mais les portes s'ouvrent; va falloir entrer. La salle est petite, cent vingt places, mais ce soir, le concert est comme les bains thermaux: debout. Ça ne me dérange pas, mes pieds un peu plus, mais c'est parce que je reviens de promenade. Je cherche un peu les têtes connues. Ça ne me dérange pas d'être seul, mais je ne crache pas sur quelques contacts humains. Je croise un type, pas vraiment un ami, juste un salut-salut, on serre la main, bonne soirée et nous voilà repartis. N'empêche, j'ai vu une connaissance.
En fait, j'en ai vu d'autres: une ancienne collègue du centre de loisirs où je travaille depuis huit ans, pas vue depuis des ans, on met à niveau nos actualités respectives. Et à la sortie, je tomberai sur la collocataire d'une amie de Vevey avec qui je monte une pièce de théâtre. Finalement, la Suisse romande, c'est tout petit: mettez cent cinquante personnes dans une salle, j'en connais trois. La vache, ce que je suis populaire.
Bon, il commence, ce concert?
Oui. Voici Mathieu, tout proche, si proche que je pourrais lui chatouiller le pied si l'envie m'en prenait. Il est nu. Le pied, pas Mathieu. L'autre pied aussi, et au-dessus il y a un jeans déchiré, et encore au-dessus un ticheurte blanc, et encore au-dessus la tête de Mathieu, une belle tête (je trouve qu'il ressemble vachement à mon copain Séverin, pas vous?). Il entame le concert, et un par un viennent le rejoindre ses musiciens, un pianiste-choriste, immense gaillard vêtu de noir, petite barbe, cheveux noirs, un bassiste-choriste, un grand noir rigolard, et un batteur-choriste, un type qui me rappelle Etienne d'Hélène et les garçons (mais si, le copain de Cathy)(ah ah, j'ai des références, moi, monsieur!). "Et c'est parti pour le show." (Naadyâahahah)
Je vais etre embêté pour vous raconter ce concert tellement c'était bien. Il y aurait des tas de petites anecdotes qui ne vous feraient pas rire parce qu'il fallait y être. Mais c'est du bonheur pur. La gestuelle de Mathieu. Sa jambe qui se lève. Ses petits pas. Ses déhanchement, dos au public. Il pique le synthé à son clavier. Pouffe. Le piano pivote. Il fait des farces. Joue avec les musiciens. Blague. Le pianiste quitte la scène. C'est peut-être pas prévu. En tout cas, ça fait marrer le bassiste. J'ai jamais vu ça, un musiqcien qui se pique un fou rire en plein concert. Parce que le bassiste, il fourit bigrement. Peut plus se ravoir. Le public non plus, du coup. De manière générale, les musiciens n'ont pas arrêté de se marrer comme des baleines. Pis voilà qu'ils partent en coulisse, c'est pour voir plus tard leurs têtes apparaître par des trous dans la toile du décor et faire les choeurs de Siliguri. Mathieu sonde le public, veut savoir d'où ils viennent. D'Yverdon? personne. Ça l'étonne plutôt. De Genève? Plein. De Lausanne? Plus plein encore. Le public chante, siffle, fait lalala. Proposition de Mathieu: ce serait mieux, soit de siffler, soit de faire lalala, mais les deux en même temps, on évite. Il y a des nouvelles chansons. Il y a des anciennes chansons. Des arrangements différents. Les chansons que j'adore: "L'espace", "Ah! c'qu'on est bien au bord de la mer" (c'est vraiment le titre?). C'est drôle. C'est beau. C'est gai. C'est bon. C'est grand.
Surtout, il y a ce moment merveilleux entre tous, cette parenthèse magique: à un moment, les lumières s'éteignent et Mathieu et les musiciens jouent et chantent "Quelque chose" dans le noir complet. Trois, quatre minutes improbables dans une obscurité propice, le public est suspendu, l'instant est suspendu, c'est un miracle.